Histoire

Le cheval Canadien, Histoire abrégée

1665-1671 : Le cheval venu de la mer

Nous sommes au 17e siècle. Le Québec, alors appelé « Nouvelle France » est une colonie sous juridiction française. Sur les recommandations de Colbert, son ministre des finances, le Roi Louis XIV décide d’envoyer des chevaux pour combler les besoins militaires et commerciaux. Entre 1665 et 1671, 82 chevaux, en provenance pour la plupart de Bretagne ou de Normandie, débarqueront ainsi en Nouvelle-France. Cependant, les coûts de transport sont tels que l’entreprise s’arrêtera là.

Ces chevaux sont principalement distribués aux nobles et au clergé. Quelques colons en obtiennent pour en faire l’élevage, à la condition de se soumettre à un ingénieux stratagème permettant d’en multiplier rapidement le nombre. Pour tout cheval reçu, chaque colon doit en effet remettre à l’intendant de la colonie un poulain vivant 3 ans plus tard. Seulement après avoir rempli cette partie du contrat, il peut commencer à vendre la progéniture pour lui-même et se rembourser ainsi de son investissement initial. Le poulain remis à l’intendant est alors donné à un autre colon, qui est tenu par le même contrat de reproduction.

1671-1765 : L’adaptation et la prolifération

Les chevaux, confrontés au rude climat de la Nouvelle-France s’adaptent à la rareté de la nourriture en hiver et aux lourdes tâches auxquelles on les destine. Contrairement à l’Europe, où c’est le bœuf qui accompli les travaux aratoires, ici c’est le cheval qui laboure, défriche, dessouche et transporte marchandises et passagers dans des conditions difficiles. Seuls les plus forts, les plus endurants, les plus vaillants et les plus rustiques survivent.

Cent ans s’écoulent… La sélection en vase clos dans la vallée du St-Laurent aidant, une race distincte prend naissance : le cheval Canadien-Français. Son nom originel témoigne d’ailleurs de son berceau d’origine, le Québec. Grâce au décret qui favorise la reproduction et l’utilisation du cheval par les Habitants, le cheptel s’élève à présent à 15,000 têtes.

1759-1850 : Vers la quasi-extinction

Au 18e siècle, la Nouvelle-France passe aux mains du régime britannique. Avec le développement du commerce, la popularité du cheval Canadien-Français enjambe les frontières de sa vallée d’origine et il est exporté massivement en Nouvelle-Angleterre (l’actuel Nord-Est des États-Unis), où l’on apprécie grandement ses qualités sous le harnais de trotteur infatigable. Fait notoire : grâce à un célèbre étalon nommé « Figure », il laissera d’ailleurs sa marque en étant à l’origine de l’une des races les plus réputées : Le Morgan. Utilisé tant dans les services de diligences que dans la cavalerie, il prendra aussi part à la guerre civile des États-Unis (1861-1865), pendant laquelle, tout comme leurs semblables, des milliers d’entre eux sont malheureusement massacrés.

À l’opposé, il est victime de discrimination sur son propre territoire, au Québec, par les nouveaux dirigeants Anglais, qui lui préfèrent certaines races importées. Les croisements avec des chevaux lourds deviennent monnaie courante afin d’en augmenter le poids et la taille, à l’image des chevaux Percherons et des Clydesdales qui débarquent dans la colonie.

Jusqu’au milieu du 19e siècle, ces deux mouvements opposés, associés à un début de mécanisation de l’agriculture, contribuent à faire baisser rapidement le cheptel et le mène vers une quasi-disparition.

1850-1880 : Tentatives de sauvegarde

En 1850, une étude globale sur l’état de l’agriculture au Québec met en lumière la quasi-extinction des chevaux Canadiens-Français sur le territoire. On élabore des tentatives de sauvegarde. Là encore, deux visions s’affrontent: Les uns prônent le croisement avec des chevaux lourds afin d’atteindre une masse critique de chevaux qui contribuerait à la pérennité de la race. Les autres encouragent au contraire la sélection des meilleurs sujets Canadiens-Français de race pure pour conserver les caractéristiques et les qualités originelles. Après 2 décennies d’indécision et de ballotage, la deuxième option l’emporte sur la première et des actions concrètes sont prises sur le terrain (attributions de primes pour favoriser la reproduction de chevaux en race pure, meilleur encadrement des Sociétés d’agriculture, etc).

En 1880, malgré les quelques efforts entrepris, la race est au bord de l’extinction. C’est alors que le Dr Joseph Alphonse Couture, personnalité plus que respectée dans sa communauté, vétérinaire de profession et inspecteur du bétail du port de Québec, co-fondateur de la première école vétérinaire au Québec (St-Hyacinthe) et fervent amateur du cheval Canadien-Français, est mandaté pour la création d’un premier registre de généalogie de la race. Après une première tournée d’inspection, il y inscrit une centaine de sujets.

1895-1912 : Naissance de la Société des Éleveurs de Chevaux Canadiens (SECC)

Le 17 septembre 1895, toujours sous la gouverne du Dr J-A Couture, la Société des Éleveurs de Chevaux Canadiens (SECC) est créée, comme l’une des composantes de la Société Générale des Éleveurs de la province de Québec. Étonnamment, le suffixe « Français », qui témoignait l’origine du cheval Canadien (par opposition au Canada « anglais » de l’époque), semble disparaître dès ce moment-là.

Les choses commencent à bouger plus rapidement, et pendant les dix années suivantes, 1 712 chevaux supplémentaires sont inscrits dans le registre de généalogie, faisant grimper leur nombre total à 1802.

En 1900, le gouvernement fédéral d’Ottawa vote la « Loi concernant les associations responsables de la généalogie des animaux » et crée, conséquemment, une entité de gestion appelée la Société Canadienne d’enregistrement des Animaux (SCEA). Cette loi décrète que seules les associations reconnues et affiliées sont en droit de tenir des registres de généalogie valides et ont accès à des subventions gouvernementales de soutien à leur développement.

En 1906, à la demande de ses administrateurs, la Société des Éleveurs de Chevaux Canadiens du Québec sollicite son incorporation et passe alors sous régime fédéral, accédant ainsi aux subventions tant convoitées, entre autres par ceux qui voyaient là une opportunité de les utiliser pour des projets de sauvegarde (financement d’expositions agricoles, ouverture d’une ferme d’élevage gouvernementale, achats de reproducteurs, distribution de prix et bourses aux éleveurs méritants, incitations financières à l’enregistrement, etc.).

Les fondements du premier registre de généalogie sont remis en question. Il est aboli au profit d’un second registre, et le Dr Couture repart en tournée d’inspection à travers le pays. Les critères d’acceptations, plus serrés et mieux définis, permettent d’enregistrer 1 555 chevaux, entre 1907 et 1912.

1907 : Première définition du standard

En 1907, dans le premier livre de généalogie, le Dr Couture définit un standard pour le cheval Canadien et propose une échelle de pointage. Pour la première fois de son histoire, la race est officiellement caractérisée. Un modèle-type, en poids et en taille, est établi. La hauteur maximale pour le mâle est établie à 15.3 mains (1,60m) et à 15.2 mains pour la femelle (1,57m). Le poids idéal, quant à lui, doit se situer préférablement entre 1100 lbs et 1350 lbs pour les mâles, et entre 1050 lbs et 1250 lbs pour les femelles.

Ces critères seront révisés en 1991. Une taille minimale est établie à 14 mains (1,42m) et la taille maximale est réhaussée à 16 mains (1,63m), autant pour les mâles que pour les femelles.

1912-1944 : Ouverture des stations de recherches fédérales et provinciales

En 1912, une station de recherche fédérale dédiée à l’élevage du cheval Canadien ouvre à Cap-Rouge sous la gouverne de Gustave Langelier. Les lignées de Cap-Rouge font rapidement la fierté de tous. Le programme prend tellement d’ampleur, qu’en 1920, la nouvelle Station de St-Joachim accueille 23 juments et 2 étalons de Cap-Rouge. Peu de temps après, l’acquisition de 30 nouvelles juments s’ajoute au cheptel.

Les travaux de recherche à Saint-Joachim orientent la race dans une direction claire. Une centaine de bêtes y sont conservées en permanence et les autres sont vendues à des éleveurs regroupés dans des syndicats d’élevage. Entre 1932 et 1944, 17 syndicats d’élevage sont créés, et ils aident grandement à augmenter le nombre de chevaux.

La 2e guerre mondiale donne malheureusement un coup de grâce aux subventions fédérales et met fin aux efforts de sauvegarde du cheval Canadien. Le troupeau est réparti entre la ferme de La Pocatière, la ferme de Deschambault, et les éleveurs.

1940-1981 : Deschambault (1940-1981)

Pendant près de 40 ans, c’est à Deschambault que se concentrent les efforts de développement de la race.

Les premiers objectifs visaient un programme de remplacement des chevaux croisés par des pur-sang Canadiens. La mission a évolué vers l’importance du maintien du patrimoine et la survie de certaines lignées. Deschambault était devenu le rendez-vous annuel des éleveurs pour exposer leurs plus belles bêtes.

Vers 1970, les travaux de recherche ont cessé. Les changements d’orientations dans les objectifs d’élevage et les tentatives de croisements pour développer des chevaux plus « sportifs » ont créé de la confusion et l’impopularité du programme et de ses dirigeants. Finalement, Deschambault ferme ses portes en 1981, et les chevaux sont vendus aux enchères aux éleveurs.

1981-2002 : L’époque contemporaine

Jusqu’en 1995, le gouvernement provincial du Québec reste malgré tout passablement engagé et soutient financièrement les éleveurs via certains programmes d’inspection et d’amélioration de la qualité des reproducteurs. Puis, les priorités d’action ayant changé, il se retire complètement du dossier.

En 1999, dans un dernier sursaut d’intérêt envers la race, l’Assemblée nationale du Québec adopte le projet de loi « 199 », dite « Loi sur les races animales du patrimoine agricole du Québec ». A cette occasion, le cheval canadien est promu au rang de race patrimoniale du Québec, au même titre que la vache Canadienne et la poule Chantecler.

En 2002, c’est au niveau du gouvernement fédéral qu’il reçoit l’honneur d’être élevé au rang de race nationale du Canada, par l’adoption du projet de loi S-22.

Depuis le début des années 2000, les efforts de promotion reposent majoritairement sur les initiatives des quelques associations provinciales qui se sont créées à travers le Canada, rassemblant éleveurs et amateurs autours de leur passion commune.

2000 : Et aujourd’hui ?

Ayant toujours servi sous le joug de l’agriculture, de la foresterie, ou du transport de personnes et de marchandises, force est de constater que le cheval Canadien peine encore à se reconvertir dans la société des loisirs du 21e siècle. Pourtant, ses qualités ne manquent pas ! Sa polyvalence et son bon tempérament en font un cheval d’exception pour les amateurs. Aussi performant sous la selle que sous le harnais, sa vaillance et son éthique de travail compensent bien souvent un manque de spécialisation requis par certaines disciplines parmi les plus exigeantes et acquis par des générations de rigoureuse sélection.

Pourtant, avec moins de 7 000 sujets enregistrés et une population qui vieillit sans suffisamment se renouveler, la race reste fortement menacée de disparition. Chaque jour qui passe dicte, encore maintenant, l’avenir du merveilleux cheval Canadien.

Autres références complémentaires

Loi sur le cheval national du Canada

Le cheval Canadien : Histoire et Espoir
Claude Richer et Pearl Duval

The Canadian Horse: A Pictorial History
Gladys Mackey Beattie

Brève histoire du cheval Canadien
Mario Gendron

Le cheval Canadien
Paul Bernier